Nathalie Baye : « Si je peux contribuer à donner un peu de plaisir, je trouve que c’est bien »

Il y a quelques années, j’ai eu le bonheur de passer un moment très agréable avec Nathalie Baye. Avec la complicité de Dominique Besnehard, j’ai pu longuement l’interroger sur sa magnifique carrière. Souvenir de ce jour mémorable de mars 2000…

J’ai remarqué que vous donniez beaucoup d’interviews ici (salon du Lutetia, grand hôtel parisien), est-ce devenu une habitude ?

Nathalie Baye : Non. Bon, c’est vrai que dans la journée à partir de 16h il y a un peu de monde, mais durant la matinée et en début d’après-midi, c’est un endroit tout à fait agréable. Et puis, dans les bars des grands hôtels, c’est assez calme, moins bruyant en tout cas que dans un café. J’essaie de varier, j’aime bien changer mes habitudes.

Vous avez débuté votre carrière artistique par la danse. Jusqu’à quand avez-vous continué ?

NB : J’ai en fait arrêté la danse en deuxième ou troisième année de Conservatoire parce que je ne pouvais plus faire les deux, c’était devenu impossible…

Et qu’est-ce qui vous a poussé à passer ensuite de la danse au théâtre ?

NB : Un jour, une copine danseuse m’a dit qu’elle voulait aller voir un peu ce qui se passait dans les cours d’art dramatique, et moi je l’ai accompagnée. Je devais être inconsciemment aussi désireuse qu’elle de savoir ce qui s’y passait. Et puis, dès que j’ai commencé à travailler avec René Simon, à dire des textes, ça m’a tout de suite plu. En plus, lui qui était un grand professeur d’art dramatique me disait « vas-y, tu es faite pour ça », il m’encourageait beaucoup.

Et ensuite, quelle a été la transition entre les planches et le cinéma ?

NB : Ce sont un peu les fruits du hasard. Quand je suis sortie du Conservatoire avec mes prix, un agent m’a engagée. Il a alors su que François Truffaut cherchait une actrice pour faire La nuit américaine. Tout est parti de là. Quand on commence ce métier on cherche du boulot, au théâtre ou ailleurs. Et quand des choses intéressantes se présentent on y va.

Votre tout premier rôle, c’était dans Two People. Vous pouvez me raconter cette histoire ?

NB : C’est un film américain de Robert Wise (qui a fait West Side Story) avec Peter Fonda et une comédienne américaine dont j’ai oublié le nom. Le film n’est même pas sorti en France je crois. Le réalisateur cherchait une actrice qui parlait anglais et qui devait ressembler à l’actrice principale. Ce sont ces choses-là qui ont déterminé son choix. J’avais en effet une scène avec Peter Fonda, et il devait, en me voyant, penser à l’héroïne du film.

Est-ce que vous aviez des modèles à ce moment-là ?

NB : Non, pas du tout. J’étais complètement dans l’immersion de la danse. Quand j’habitais sur la côte d’Azur dans mon adolescence, je faisais des heures de danse par jour, j’allais un peu au cinéma mais pas énormément. Après je suis partie aux États-Unis, j’y suis resté un peu plus d’une année. Ce n’est que plus tard, une fois au cours Simon, que j’ai commencé à aller à la Cinémathèque, à voir de nombreux films et à aller au théâtre. J’ai ensuite eu la chance de commencer tout de suite au théâtre, de jouer avec Gérard Depardieu, de faire un film avec François Truffaut, ce sont des chances que j’ai saisies. Après il faut être à la hauteur, mais je ne me suis jamais dit « fait-ci, fait-ça » ou « j’aimerais travailler avec untel, etc. », le principal à cette époque était de trouver du travail. Je me sentais comme un poisson dans l’eau, j’ai travaillé beaucoup de scènes au Conservatoire, au cours Simon aussi, et puis tout ça a fait boule de neige.

Aux seconds rôles des années 70 ont succédé les premiers rôles, puis ensuite les succès au box-office. Comment avez-vous vécu cette évolution ?

NB : Tout cela s’est fait normalement. Il y a une phrase qui dit « le succès fait partie du métier », et elle résume tout ça. Un type n’est pas venu me trouver dans la rue en me disant « je vais faire de vous une star ». Moi j’ai été au Conservatoire, j’ai fait des petits rôles, puis des plus importants, et enfin des premiers.

Et la médiatisation plus « people » qui a suivi ?

NB : C’était une médiatisation qui ne reposait pas sur le cinéma, j’en ai déjà parlé 50000 fois. J’étais un petit peu dépassée par les évènements. J’ai essayé de m’en protéger au maximum, car ce n’est pas quelque chose qui fait du bien à une carrière. Mais c’était ma vie et je l’avais choisie. Pendant un moment j’avais l’impression de n’être plus qu’un personnage de magazine, et j’avais l’impression qu’on oubliait l’actrice. Cela m’a dérangée, mais sans plus, je m’en suis sortie. Cette période a aussi correspondu avec un petit break cinématographique. Après la naissance de ma fille, j’ai eu une période où j’ai fait du théâtre et cela explique cette mini-coupure au cinéma. J’ai joué tout un hiver à Paris puis ensuite on a fait une tournée dans toute la France. Tout ça a duré quasiment un an et demi.

Quelle différence faîtes-vous entre le théâtre et le cinéma ?

NB : C’est difficile de dire quelle est la différence de sensation entre les deux. Mon métier, c’est d’abord jouer. J’aime jouer sur scène, j’aime le rapport immédiat avec le public. J’aime aussi les répétitions au théâtre, le parcours qu’un acteur fait pour aller jusqu’à un rôle, ces deux mois où on s’approche d’un personnage, où on le cherche et puis où subitement on se retrouve dans le vide devant le public. J’aime sortir d’un théâtre, voir les gens, leurs réactions. Mais j’aime aussi le cinéma, avec cette caméra qui vous vole des choses, le côté magique du cinéma. Je n’ai pas envie de les différencier, je les aime autant l’un que l’autre. J’ai beaucoup de mal à être privée de l’un ou de l’autre.

Comment qualifiez-vous les rôles que vous avez tenus depuis au cinéma ? Forts, dramatiques ?

NB : Des rôles puissants. J’ai eu la chance que l’on me propose ces rôles-là. Pour refuser des rôles pareils il aurait carrément fallu que j’arrête mon métier ! Ce sont des rôles riches. Ce que j’aime par exemple dans la Liaison pornographique, qui est un film que j’adore, c’est qu’il y a beaucoup d’humour. C’est un personnage qui est drôle en fait. Dans Vénus beauté, c’est pareil. Je trouve que mon personnage est émouvant, paumé, largué, mais elle est drôle aussi. Ce sont des personnages à doubles facettes.

Il y a quelques années, les actrices de votre âge ne se voyaient pas proposer de rôles aussi intéressants. Je trouve qu’aujourd’hui cela a beaucoup changé.

NB : Oui, ce sont des choses qui se disent, mais regardez Isabelle Huppert ou Fanny Ardant, elles ont des rôles magnifiques. C’est vrai que ça n’a pas toujours été le cas, contrairement aux États-Unis par exemple.

Par conséquent, êtes-vous beaucoup sollicitée en ce moment ?

NB : Pas mal, je touche du bois ! D’ailleurs je commence un film le 1er mai, avec encore un très beau rôle.

Vous avez collaboré avec les Italiens, les Anglais et les Américains aussi. Que vous ont apporté ces expériences ?

NB : And The Band Played On, c’était une production américaine avec un metteur en scène anglais, beaucoup d’acteurs américains et quelques français, la plupart plus ou moins sucrés dans le film du reste … Mais c’était un sujet, la recherche contre le SIDA, qui était intéressant. Ça m’a amusée comme expérience, mais ça n’a rien de mirobolant sur le plan artistique ! Moi ce dont j’ai envie c’est de faire des choses qui me plaisent, peu importe avec qui.

Comment avez-vous vécu l’année 1999 ? Ca restera une belle année pour vous !

NB : J’ai beaucoup travaillé et j’ai eu des retours très agréables. Le prix à Venise m’a fait beaucoup de bien (c’est mon premier prix international) et m’a rendue très joyeuse, mais en même temps cela n’a rien changé à ma vie.

Il reste des personnes avec qui vous aimeriez travailler aujourd’hui ?

NB : Oui bien sûr. J’aurais bien aimé refaire un film avec Claude Sautet, parce que je l’adore, retravailler avec Bertrand Tavernier aussi. J’aimerais bien travailler avec Claude Chabrol, avec qui j’avais un projet qui est malheureusement tombé à l’eau, mais j’espère que ça marchera un jour. Il y a plein de metteurs en scène avec qui j’ai envie de travailler. J’avais fait un court-métrage avec Coline Serreau il y a très longtemps et j’aimerais bien retravailler avec elle. Je peux aussi vous citer Nicole Garcia ou Agnès Jaoui et toute sa bande. Je trouve qu’ils ont un talent fou.

Quand vous travaillez avec un jeune metteur en scène, comme Frédéric Fonteyne par exemple, qui apporte le plus à l’autre ?

NB : C’est un échange. Je crois que je lui ai apporté bien sur, mais lui aussi, ne serait-ce que ce rôle magnifique qu’il m’a offert. C’est une espèce d’alchimie.

Vous vous êtes souvent engagé comme actrice. Je pense aux Restos du cœur ou à l’enfance maltraitée. Vous pensez que c’est un devoir ?

NB : Je connaissais Coluche, il m’a simplement demandé de participer. Je ne prends pas cela comme un devoir d’artiste. Quand c’est quelque chose qui me touche, par exemple accepter un film qui traite du SIDA, je ne me pose pas la question en fait. C’est un sujet important, alors je le fais. Mais je n’ai pas une démarche militante. Pour l’enfance maltraitée, on m’a demandé de faire partie du comité de parrainage de ce qui a été la grande cause de l’année 1997. Pendant toute l’année j’ai donc eu des choses très précises à faire, mais ce qui est en rapport avec l’enfance me touche énormément. Je ne le regrette pas. Mais je ne fais pas que des choses officielles et qui se voient… Le problème c’est que l’on est beaucoup sollicités, mais on ne peut pas tout faire.

Au final, tous ces films sont-ils futiles ou bien servent-ils à quelque chose ?

NB : Mais non, je pense que ce n’est pas futile. On a tous besoin de rêver, de s’évader. Certains s’évadent en faisant du sport ou en voyageant, et il y en a d’autres qui s’évadent avec le spectacle, le théâtre ou le cinéma. Quand on est petit, on aime bien que l’on nous raconte des histoires, et bien c’est une manière de continuer à raconter des histoires aux gens. Il y a une quinzaine d’années, je faisais une tournée en France. Un jour, à Béziers, des gens m’ont dit qu’ils étaient venus au théâtre pour la première fois de leur vie, pour me voir. Ça leur a tellement plu qu’ils m’ont dit « on y retournera ». J’ai senti qu’ils avaient eu un réel plaisir pendant deux heures, ça m’a beaucoup touchée. Et je suis comme les autres, j’aime bien aussi m’évader, voir un film, rire, pleurer. Alors si je peux contribuer à donner un peu de plaisir, je trouve que c’est bien.

A titre personnel je vous imaginerais très bien en personnage comique. On ne vous a jamais proposé ce genre de rôles ?

NB : Eh bien si ! J’ai fait un film qui va sortir bientôt, qui s’appelle Ca ira mieux demain. C’est un film comique. Et là je commence un film d’un jeune réalisateur qui s’appelle Bruno Chiche, avec Fabrice Lucchini et Marie Gillain, et c’est très drôle aussi. Mais de toute manière j’adore ça. Prenez Une liaison pornographique, c’est aussi plein de choses drôles. Je crois que c’est mon rôle préféré d’ailleurs.

Marlène Dietrich et Ava Gardner, pour ne citer qu’elles, ont fini leur vies recluses et éloignées des gens, tandis que d’autres actrices, à l’image de Suzanne Flon, continuent de faire leur métier et montent sur les planches pratiquement tous les soirs. Parmi ces destins lequel choisiriez-vous ?

NB : Écoutez, là je prends Suzanne Flon ! Elle est passée chez moi il y a encore trois jours prendre un café. C’est une femme que j’adore, j’ai été la voir au théâtre il n’y a pas très longtemps. Elle est tout simplement lumineuse, géniale. Elle est drôle, passionnée, passionnante, vive, insolente. Elle est magnifique, c’est un modèle pour nous. Elle est très aimée parmi les acteurs. Marlène Dietrich a fait une carrière formidable, mais il y a quelque chose de figé là-dedans. Moi j’aimerais bien continuer aussi longtemps que Suzanne Flon, parce que je trouve que ça entretient.

Pour en revenir à l’actualité, vous n’avez pas été trop déçue de ne pas avoir le César cette année ?

NB : Non, et puis le film a reçu tellement de récompenses. Je pense quand même avoir participé grandement à ce succès. Et puis il faut en laisser aux autres, j’en ai déjà gagnés pas mal !

Photo : Studio Harcourt

David Bénard

Journaliste vie numérique et mobilité, j'ai la tête à Indianapolis, le coeur à Nantes et le reste en Île-de-France...